Ludovic Duhem a développé trois projets durant sa résidence de recherche à la Fondation Martell , tous en lien avec le lieu, en particulier avec le fleuve.

– Le premier projet est celui d’une conférence performance intitulée « Conférence à Charentes » (au pluriel). Elle inaugure un cycle de « conférences situées » qui sont toujours données in situ, sans public, avec peu d’éléments scénographiques. L’idée principale est de questionner notre lien au lieu et de repenser les conditions de notre manière de sentir, de penser et d’agir en tentant de s’adresser à une entité naturelle ou artificielle comme à une « personne » ou plutôt à un sujet multiple et mouvant.

Pour réaliser cette conférence, il a écrit un texte à partir de ses connaissances sur les enjeux écologiques actuels, en particulier ceux liés aux cours d’eau (ressource, pollution, sécheresse, inondation, privatisation, etc.), et à son expérience du fleuve Charente au moment d’une importante crue courant décembre 2023. Il a aussi conçu et construit un radeau qui lui a servi de plateforme flottante précaire où la figure du conférencier se retrouve hors du contexte habituel de prise de parole, littéralement embarqué au milieu des éléments incontrôlables. L’ambiance générale de la crue et de la brume hivernale est venue renforcer le sens de la conférence.  Le résultat est une vidéo de 18 minutes environ, réalisée par le cinéaste Sébastien Duhem.

– Le deuxième projet est une série de sculptures, intitulée les « Paysages tabulaires ». En agençant des modules en céramique avec des déchets de production ostréicole (écailles de coquille d’huître) et viticole (grains de raisin) issus du territoire charentais, il a réalisé des paysages provisoires à l’échelle d’une grande table prenant place dans l’exposition « Almanach » qui se déroulait durant sa résidence. Ces paysages expriment les tensions, les frictions voire les conflits entre l’activité humaine et la réalité naturelle, tensions venant aussi bien des gestes pour cultiver la terre, aménager le territoire, que pour contrôler l’eau, en particulier le long de la Charente et autour de Cognac.

– Le troisième projet est une série de dessins, intitulée « Charentes ». Ils sont réalisés au stylo bille bleu sur bois brut à partir de notes graphiques ou de photographies prises sur les rives de la Charente durant ses promenades pendant la résidence. Ces dessins de paysage montrent des objets ou parties d’objets, reconnaissables mais le plus souvent partiels et énigmatiques, sans éléments pittoresques ni figures humaines. Il s’agit avant tout pour lui de produire des jeux entre le détail et la totalité, entre le naturel et l’artificiel, le proche et le lointain, l’observé et l’imaginé, le solide et le liquide. Les veines du bois visibles sur le support apportent le motif et le mouvement du fleuve, quelques rares traces les soulignent. L’utilisation d’un outil industriel et d’un support standardisé du commerce n’est pas anodine, elle participe d’une critique de la fabrique du paysage par l’utilitarisme et le consumérisme.

Il animera également une conférence : Repenser le territoire avec une approche biorégionale

Avec la prise de conscience générale de la situation critique des conditions écologiques de la vie sur Terre, le recours au « territoire » est désormais un leitmotiv incontournable aussi bien dans le champ artistique, économique que politique. Mais le consensus apparent autour de la notion de « territoire » laisse pourtant dans l’ombre nombre de difficultés, si ce n’est de vrais problèmes, quant au sens accordé au « territoire », aux valeurs qui y sont attachées et à la pertinence d’un tel recours pour être à la hauteur des enjeux actuels. Cette conférence propose de revenir sur la notion de territoire à travers une approche « biorégionale ». Encore peu connue du grand public français comme du monde académique, l’approche « biorégionale » est pourtant apparue aux USA au début des années 1970 au sein d’une communauté d’artistes et de militants écologistes de San Francisco, et elle s’est ensuite répandue dans le monde entier en quelques années. L’intérêt que suscite aujourd’hui en France l’idée de biorégion comme le mouvement biorégionaliste est sans doute qu’elle permet de repenser le territoire autrement qu’à partir des principes d’identité, de souveraineté, de pouvoir, d’administration et d’aménagement, pour renouer le lien au lieu en nous invitant à agir là où nous vivons. Cela est possible selon le biorégionalisme en cherchant à réhabiter son lieu de vie à partir des bassins versants, à travers la communauté des vivants, en mobilisant autant les savoirs traditionnels et locaux que les sciences modernes, en luttant contre l’industrialisme capitaliste, en développant les systèmes alternatifs d’énergie et de transport, en repensant les pratiques de production et de consommation, et en célébrant la poésie des mondes.

Ludovic Duhem est diplômé d’un doctorat en philosophie, histoire des sciences et des techniques ainsi que d’une maîtrise en d’Arts Plastiques.